L’architecture IT de près ou de loin

Pour être en mesure de construire un Système d’Information (SI) et de le faire fonctionner, il est nécessaire de voir les caractéristiques significatives. Une bonne vision du SI est la base pour appréhender la situation présente et dessiner une trajectoire pratique vers la cible répondant aux enjeux de l’organisation. Si le SI est une maison, le terrain de construction apporte des possibilités, comme l’espace utilisable ou les perspectives, mais aussi des contraintes, comme la résistance des sols ou les contraintes d’urbanisme.

Voir le SI comme un paysage mais aussi comme un film

On ne peut pas embrasser la totalité du SI dans toutes ses dimensions. Alors qu’est-ce qu’une bonne vision du système d’information comme elle ne peut pas être exhaustive ? L’architecture vise à instruire les décisions de conception les plus significatives, c’est-à-dire celles qui sont les plus coûteuses à changer. Il est donc important de trouver ce qui est important et aussi de le reconnaître comme tel. Cela peut être des qualités globales comme la sécurité, la performance ou des plus locales comme l’adaptabilité venant de pratiques de codage plus avancées.

Architecture represents the set of significant design decisions that shape the form and the function of a system, where significant is measured by cost of change.

Grady Booch

La tactique de l’architecte est aussi de prendre les décisions le plus tardivement possible. A quel moment va-t-il falloir se positionner ? Et cela suppose un surveillance régulière car la situation évolue en permanence ce qui amène à l’émergence de propositions, qui peuvent avoir un caractère important. Plus qu’une photographie, c’est un film qui se déroule.

A good architecture is a software structure that allows you to defer critical decisions for as long as possible.

Uncle Bob

Des choses importantes, un système d’information en a beaucoup, et à différentes échelles. Certaines sont globales quand d’autres sont locales. Cela s’explique par la structure même du SI. Le SI est un système de systèmes (eux-mêmes système de systèmes, etc…) et le SI est lui-même un composant d’un système plus grand. Cette structure en poupées gigognes ou en fractale fait que les choses importantes peuvent se croiser à différents niveaux. Le champ d’exploration est particulièrement large. La stratégie de l’entreprise, le système socio-technique que constitue l’organisation et ses acteurs, les modes opératoires des métiers, les pratiques de conception et de réalisation, l’histoire et les croyances, les attentes et les engagements sont autant de champs d’investigation pour identifier les facteurs clés de succès et les pièges potentiels.

La panoplie de l’explorateur du SI

Si l’architecte devait se doter d’un instrument pour travailler, il lui faudrait dans sa panoplie aussi bien un télescope, qu’un microscope. Le télescope lui permet d’observer les astres pour savoir vers où le SI doit-il aller. Tel un astronome (ou un astrologue ?), il essaie de comprendre notre place dans l’univers (ou décrypter le futur ?). Quelle vision l’organisation souhaite-t-elle porter ? Se donne-t-elle les moyens de ses ambitions ? Ce sont des questions essentielles mais étonnamment souvent sans réponses. Pourtant, les acteurs qui ont besoin de sens dans leur travail ont de plus en plus de besoin d’avoir des éléments de réponses.

Le microscope sert à l’architecte pour voir ce qu’il se passe sur le terrain. Quelle est la situation réelle ? Quelle est la qualité des implémentations ? Quelle est la maturité de la culture technique ? Sont-elles suffisantes pour permettre à l’organisation de concrétiser sa vision ? A -t-elle établi des ambitions au regard de ses moyens ? Parfois, l’organisation plonge dans un rêve et ne réalise pas le décalage entre le discours idéaliste et consensuel et les frictions sur le terrain.

Les échanges avec les acteurs, les écrits traçant l’historique, les décisions et les plans, les faits constatés sur les réalisations techniques ou sur l’observation de leur fonctionnement permet de rassembler une matière qui ira des opinions jusqu’à des constats neutres. Le code ne ment pas. Adam Tornhill dans son livre Your Code As A Crime Scene décrit comment faire parler le code pour identifier les éléments significatifs, les hot spots. Les journaux et les métriques permettent de faire des découvertes qui peuvent aller à l’encontre du discours ambiant.

Cette exploration se fait à la fois dans un sens vertical en traversant les couches sémantiques du SI allant du métier jusqu’au environnement, mais aussi dans les plans horizontaux , en échangeant les différentes typologies d’acteur. Les rapprochements renforcent des convictions tandis que les écarts sont souvent source de découverte fructueuse. De l’ensemble, se dessine une synthèse avec un niveau de crédence plus ou moins haut en fonction de la cohérence et de la fiabilité des éléments rassemblés. Le débat contradictoire permet de conforter les éléments récurrents et de mettre à plat les divergences. Il faut être prêt à accepter la dissonance cognitive pour atteindre une compréhension plus profonde de la situation.

L’agilité a aussi besoin d’une vision

On oppose l’agilité et l’architecture. Mais c’est à mon sens, à tort, comme l’explique Gregor Hohpe dans son blog Agile and Architecture: Friend, not Foe.

Cette convergence d’intérêt existe aussi dans la vision. Entre une architecture intentionnelle qui pose le cadre par rapport à une vision et une architecture émergente qui s’appuie sur les dynamiques, un regard qui va de l’un à l’autre est essentiel pour structurer les échanges et les débats dans la zone grise entre ces deux champs.

Pour mettre en oeuvre la démarche Continuous Architecture, il vaut mieux avoir un regard large et apprécier les contrechamps.

La lisibilité d’un SI

Un SI a toujours une architecture, mélange entre des intentions et des émergences. En revanche, sa lisibilité pourra varier, porté par un plan clair ou au contraire pollué par une complexité accidentelle.
Retrouver de la clarté en toute circonstance est le point de départ sine qua non pour faire prendre au SI un chemin lumineux.

Meaningful architecture is a living, vibrant process of deliberation, design, and decision.

Grady Booch